Mon vol de Krabi à Bangkok est à 15h, il est 13h, mon bagage est envoyé en soute, j’ai le temps de manger un morceau et si j’ai un peu de chance, je pourrai échanger avec Célia. Il est 7h du mat à Paris et j’espère qu’elle ne va pas tarder à se réveiller. C’est cool, il vendent des petits curry vert avec du riz en barquette plastique. C’est cancérigène le plastique chaud mais bon, pour une fois. Il est pas mal du tout ce petit curry vert d’ailleurs, et je m’y connais, je viens de passer deux semaines à ne bouffer que de la nourriture Thaïlandaise.
Rarement déçu, parfois étonné, la plus part du temps heureux. Hier j’ai testé les grillons pour avoir un truc à raconter. En réalité pour moi c’est pas un truc de fou: je tenais mon sachet de la main droite et piochais dedans de la main gauche, sans regarder, comme si c’était des bonbons. Le mec blasé quoi, il a tout vécu, plus rien ne m’étonne comme dirait B2O.
Tiens, plus de blancs avec des masques qu’à l’aller. Bande de débiles, vous me saoulez, entre vous et les connards de français qui se sont accrochés à leur week-end parce qu’il faisait beau et qu’ils ne voulaient pas « s’empêcher de vivre » en restant chez eux. Tu verras quand t’auras tué ton mari en lui refilant le virus si ça t’empêche pas de vivre.
Je suis en train de balancer des messages à Célia pendant qu’elle me fait des vocaux mais mon attention est perturbée par quelque chose. J’ai l’impression que l’annonce faite dans l’aéroport est la même depuis dix minutes. Perturbé, je sors vite fait du salon Bangkok Airways pour jeter un oeil, laisser traîner une oreille, au cas où…oui, c’est bien mon putain de nom que la voix écorche pour la quatrième fois. Je vous dis pas ce que donne Echeverria en thaï mais c’est pas beau du tout. Pas beau du…yes? Sawa di kraap…trois agents de l’aéroport s’approchent de moi et me saluent avec déférence, tous les trois masqués, avec des gants et en uniforme…en uniforme?
Putain ! C’est des douaniers! Je refais le film dans ma tête, le plus rapidement possible, je check les moments où j’ai laissé ma valise sans surveillance, à quel moment on aurait pu me mettre des trucs dedans. J’arrive pas à trouver, tout devient confus, je repense à ce téléfilm de trois heures sur M6 où la meuf est condamnée à mort en Thaïlande parce qu’un sois disant photographe lui a offert une mallette avec des « objectifs » dedans. Monumentale erreur comme dirait Shwarzy dans Last action héro.
Je suis en train de penser à ce film alors que les mecs m’empoignent doucement du bras et essaient de m’entraîner vers une porte dérobée. Je sens qu’ils veulent donner un air de tranquillité à cette arrestation mais j’ai un sixième sens et j’ai vu trop de films de mafieux pour y croire.
-Wait, my luggages, my bag, it’s in the SALON. I need my computer…
-No roblem sir, no roblem…
On ne me laisse pas récupérer mon sac, je comprends que c’est grave. J’essaie de prendre mon téléphone discretos pour envoyer un dernier message à Célia mais un des douaniers le remarque et me le subtilise, encore une fois tout en douceur, sans me l’arracher, je sais pas comment ils font ces mecs, des experts.
Au bout du couloir, horreur, c’est un groupe en blouse blanche et masque de décontamination qui m’attend, façon E.T, j’aime pas ça du tout, je suis juste trop sidéré pour me rebeller.
Un des mecs en masque s’approche de moi et se présente: professeur Tong Po. Il parle parfaitement anglais, m’explique que j’ai été scanné au moment de mon check-in et que je suis susceptible d’être porteur du COVID19. Rien de certain mais par mesures de précaution il vont devoir me garder. Le gouvernement a déclenché un plan spécial pour les touristes potentiellement infectés et dans chaque province un hôtel a été réquisitionné pour la quarantaine. Apparemment j’ai de la chance, celui de Krabi est particulièrement cool.
J’essaie de leur dire que je peux pas, qu’on m’attend à Paris mais me rends rapidement compte que c’est l’excuse de tout un chacun, que de toute façon la décision est prise, que la Thaïande est une monarchie militaire et qu’en vrai, je peux rien faire….
« My phone, can I get my phone ? My bag, my computer? »
Ils sont formels: tous mes effets partent en décontamination. Ils vont me fournir des habits et à l’hôtel j’aurai des livres en français dans ma chambre.
Bon, ça y est, ce que j’ai redouté toute ma vie arrive, c’est maintenant, je vis dans un mauvais film, je suis passé dans la quatrième dimension. Et en France, ils vivent quoi ? Qui s’inquiète de moi? Et Célia, que va-t-elle faire lorsque mon avion aura déversé son ultime passager et que je n’apparaîtrai pas? Quelle horreur ! Quelle horreur !
C’est bon Juan, arrête de faire ta salope, pense pratique. Tu vas faire le mec basique, le teubè, le mec soumis et tu vas essayer de gratter le plus d’informations possible. Ouvre bien tes yeux, repère tout ce qui est repérable: le trajet jusqu’à ta chambre, les sorties de secours, tout !
Arrivé à l’hôtel, on ne m’envoie étonnamment pas directement dans ma chambre. Les agents me font traverser le hall désert et m’ouvrent la porte d’un immense jardin doté d’une vaste piscine. Rien autour, personne. On dirait un mélange entre Cuba et OSS 117. C’est ça, je suis dans un film d’espions avec des décors en carton pâte. J’ai le cafard mais me demande surtout pourquoi on me laisse déambuler dans ce grand espace.
Je m’approche de la piscine, doucement, je scrute les alentours: des palmiers, des bars vides de personnel mais où trônent encore les bouteilles de Kahlua et autres Tequilas. Ça ressemble vraiment au Cuba des années 50, sans les ricains, sans les mafieux, sans les Piñas coladas. Soudain, en levant les yeux, j’ai l’impression de voir de la fumée s’élever au dessus d’un transat qui me tourne le dos. Oui c’est bien de la fumée, le genre de fumée opaque, un peu comme si on faisait brûler de l’encens. Je me décale sur le coté droit tout en continuant à faire face à la piscine, je ne veux pas me rapprocher trop rapidement et vais donc essayer d’ouvrir l’angle afin de pouvoir repérer de loin ce qu’il se trame sur ce transat. Ça y est, je suis en mode ultra vigilant, tous mes sens sont en éveil, ma paranoïa au maximum, je suis prêt à tout découvrir, plus rien ne m’étonnera, plus jamais !
Et pourtant… À force de me décaler je finis par voir un homme allongé, d’assez forte corpulence, il a l’air d’avoir le crâne chauve et d’être…noir, métisse, ou alors c’est un thaï très sombre, il y en a. Mais son style, ses sapes ainsi que quelque chose qui se dégage de cet être me disent qu’il n’est pas thaïlandais. Les philippins ont été colonisés par les états unis et si le mec est asiatique ce pourrait en être un car il a décidément un style…californien !
All star basses sur chaussettes blanches qui remontent sur les mollets, bermuda Dickies, T-shirt blanc 5XL qui recouvre tout son gros corps, énorme chaine qui reflète tellement le soleil qu’elle ne peut être qu’en platine et surplombant le tout, une paire de lunettes noires façon Oakley posées sur son crâne brillant.
Bon, ya moyen que je puisse communiquer avec ce mec, il doit certainement parler anglais et d’une certaine façon, ça me rassure. Je vais tenter une approche, il a pas l’air de dormir, il fume juste son gros cigare en expulsant des ronds de fumée comme la chenille d’Alice aux pays des merveilles tout en fixant le haut d’un palmier. On dirait qu’il médite.
Je m’approche en longeant la piscine, doucement, et plus mes yeux arrivent à faire le point sur ce personnage, plus il me paraît familier. Effectivement il est noir ou métisse, il porte le bouc et ses sourcils lui donnent un air de diablotin. Il a les yeux en amande, c’est pour cela qu’on pourrait presque le prendre pour un mec de l’océan indien mais non, c’est sur maintenant, il a des origines africaines… putain mais je connais ce visage, ce style, je n’y crois pas et pourtant au fur et à mesure que je m’approche cette réalité se fait de plus en plus évidente, je connais ce mec !
Ce qui me fait tout d’un coup prendre conscience que je suis en train de vivre quelque chose d’extraordinaire, c’est que depuis peu, une odeur me perturbait. L’effort que mon cerveau faisait pour discerner le personnage avec mes yeux m’a empêché d’utiliser un autre sens qui pourtant aurait pu m’être bien utile: l’odorat ! En effet, je n’arrivais pas savoir si cette odeur était désagréable ou si elle me plaisait. Et pour cause, maintenant que je suis plus proche, je m’en rends compte: ça sent l’herbe à plein nez ! Une odeur, que je n’ai pu analyser tout de suite car il s’agit de celle de la Natty, de l’herbe naturelle que l’on ne trouve pratiquement plus en Europe, remplacée par la skunk hydroponique à l’odeur d’aisselles suintantes.
Cette analyse vient s’ajouter à mon scann visuel et les information ramifient un résultat qui du doute passe à la certitude: c’est Sen Dog de Cypress Hill et ce qu’il est en train de fumer est un énorme Blunt de thaï grass. ! J’en reviens pas. Je fais une indigestion d’absurdités. Je suis passé de touriste Français qui prend l’avion il y a une heure à paria confiné dans un hôtel surréaliste en compagnie du pinareño de Cypress Hill. La vie est vraiment pleine de surprises, étonnement, je ne trouve rien d’autre à me dire à ce moment là.
Ne voulant pas faire sursauter l’homme en me rapprochant trop près de lui, je reste à environs quatre mètre lorsque je m’immobilise et l’interpelle en faisant un effort pour prendre la voix la plus douce possible:
« Excuse me…I dont want to disturb you but are you… Sen perro ? »
Le mec ne parait en rien choqué et de tout son corps, sa tête est la seule partie qui bouge pour se tourner doucement vers moi façon Terminator. Il expulse un filet de fumée et, tout sourire, m’adresse un :
« Hey Vato, nice to meet you, I’m actually Sen Dog man, how you doin’ ? You’re spanish or somethin’? You wan a hit..? » me dit il tout en me tendant son blunt.
Le fait d’espagnoliser son nom m’introduit naturellement comme un allier, je suis certain de ma stratégie. Tout en me disant qu’à une époque de ma vie j’aurais tout donné pour partager un Blunt avec Sen dog au bord d’une piscine par 35 degrés, je cherche un façon intelligente de décliner l’offre.
« Please to meet you man, I’m Juan, I’m from Ecuador… sorry but with the virus… » c’est ce que je lui bafouille en pointant le blunt du doigt.
« We already got the virus Vato, don’t think about that shit anymore, If you’re here, it means that you got it nigga, come on and take a damn hit, I’m sipping on José Cuervo, you like it ? »
Putain, je vais devoir doublement décliner et ça va pas être facile, surtout que je suis à cours d’arguments. J’essaye alors de glaner quelques informations pour gagner du temps et retrouver mes esprits. Je lui demande depuis combien de temps il est là, lui fais remarquer que la détention de stupéfiants en Thaïlande est passible de lourdes peines de prison. Et puis ses sapes, comment il a réussi à avoir des sapes de cette qualité alors qu’on lui a confisqué les siennes pour désinfection…
Désinfection me dit-il ? J’ai jamais entendu parler de ça ! Ils m’ont laissé mes fringues, ils m’ont juste confisqué tous mes appareils informatiques. Quand à l’herbe, Sen dog m’affirme que c’est un garde qui lui dépose une grosse poignée le matin avec son petit déjeuner. Il laisse juste quelques dollars le soir devant la porte de sa chambre. Ça va faire deux semaines que le mec est là et il a l’air de n’en avoir plus rien à foutre. Il nage pas mal, me dit qu’il a déjà perdu 8 livres, qu'il passe sa journée à manger, boire et fumer.
« Tu sais, me dit-il, on va pas ressortir d’ici, on y est pour de bon. Moi j’étais à Amsterdam avant, c’est là bas que j’ai du attraper cette saloperie. Chaque année je fais une retraite en Thaïlande, je vais voir mes éléphants, j’en ai une cinquantaine que j’ai décidé de sauver. Je suis propriétaire d’un finca de plusieurs éctars, j’ai un deal avec l’état thaïlandais. Tu sais que les éléphants sont des animaux sacrés, non? T’as écouté notre dernier album ? »
J’y crois plus, je délire complètement, putain de soleil, il m’arrive quoi ? Ou alors c’est la fièvre c’est ça, la fièvre me fait délirer !
« Je dois contacter ma meuf, Dog, aide moi, elle va s’inquiéter, je peux pas, je peux pas…
-Calme down my cholo friend, calm down. Acceptance is the way. Come and relax next to me, tu ves? Sientate perro, calmate, take a hit nigga »
Il m’invite à prendre place sur le transat adjacent, me regarde avec bienveillance et me tend ce Blunt gras et suintant. Il se produit alors quelque chose d’étrange en moi. Si j’ai fait cette thérapie, si j’ai bossé autant sur moi c’est pour ne pas replonger dans un moment de crise et pourtant, pourtant je sais que je suis prêt, que ça va aller. Je lâche alors cette phrase comme un mantra sorti d’une cavité intérieure encore inconnue:
« I didn’t come to the bang, It is the bang that came to me…
-exactly my nigga, exactly me répond Sen Dog avec douceur alors que je prends le fumigène de ses doigts et le porte à ma bouche.
Je tire une bouffée énorme, la coffre dans mes poumons, me sens partir doucement puis pris d’un spasme je me met à tousser puis à caler à la réunionnaise. Le rappeur apprécie, me tapote le dos, et me fais un bisous sur la joue avant de me serrer fort contre lui. Il est doux, il est rassurant, je suis troublé, comme si je sentais qu’on allait s’embrasser. Alors je me laisse partir tandis que des barrissement d’éléphants résonnent au loin et que je glisse dans un tunnel assis sur ma luge à toute allure. Les barrissement se font de plus en plus intenses, ils résonnent, prennent toute la place dans mon crâne et me forcent à ouvrir les yeux. C’est alors que Sen Dog relâche son étreinte et se tourne pour se saisir de son iphone dont les barrissement n’étaient autres que la sonnerie.
Il m’avait dit qu’on lui avait confisqué son téléphone le menteur, cette analyse bien que confuse me met sur la piste d’une entourloupe. En se retournant le rappeur cubain a changé de visage, il porte maintenant le masque de Melchior, mon thérapeute antillais d’un mètre quatre-vingt sept.
« Tiens c’est quelqu’un qui veut te parler » me dit-il en me tendant le téléphone qui est maintenant un combiné posé sur un plateau.
Apeuré par la situation que je ne contrôle plus du tout mais attiré par une irrésistible curiosité, je me saisi de ce dernier, le porte à mon oreille et prononce… allo..?
C’est la voix d’une petite fille au bout…
-Bonjour, c’est pour te dire que je suis fière de toi.
-Qui es-tu?
-Réfléchis bien…
-Je ne sais pas…
-…si tu sais, mais ça te fait peur de le dire…
-Maman..?
-…oui, c’est moi
-Mais tu as une voix de petite fille
-J’ai toujours été une petite fille, tu sais, toujours. Je te remercie de m’avoir libéré. Je suis fière de toi, ne l’oublie jamais.
Je rends le téléphone à mon psy qui me regarde en souriant. Je lui dit:
« Et Sen Dog, t’étais pas Sen Dog?
-ça aurait été trop facile si tu avais su dès le début…
-Et pour l’histoire du Blunt..?
-Tu as fait ton propre choix, tu t’es validé, tu as pris ta décision selon tes propres curseurs.
-Et les éléphants alors?
-Les éléphants ? Tu les connais mieux que quiconque les éléphants…fais juste attention à l’eau de la piscine qui déborde.
En effet, je sens l’eau qui vient me chatouiller les pieds au bout de mon transat, la piscine est bel et bien en train de déborder et ce n’est autre qu’un éléphant qui nage au milieu, un magnifique éléphant thaï, pas très grand, pas trop gros, juste splendide.
Vous aurez deviné la suite, j’ai ouvert les yeux et constaté que les vagues venaient me lécher les pieds, que j’avais la moitié du corps rouge crevette et qu’un mal de crâne carabiné était en train de naître. Quelle heure était-il ? Où étais-je ? A ce moment là j’en avais plus rien à foutre. J’ai juste marché sur la plage pendant quelques minutes, puis, assoiffé, j’ai fouillé dans ma banane que j’avais heureusement gardé sur moi pendant ma sieste. En y cherchant quelque billets pour m’acheter une boisson fraiche, j’ai remarqué une sorte de papier journal plié. Je n’avais pourtant jamais placé ce truc dedans, j’en étais sur. Je décidais alors de m’approcher de l’eau pour l’ouvrir et ne fus pas étonné lorsque j’y découvris, placé dedans, une petite branche de Thaï grass…
Je crois en la magie, je crois aux rêves, je crois en Yemaya, en l’univers, en la vie. Je décide de choisir, je décide d’être libre et de ne pas me poser trop de questions sur ce qu’il se passe. Je porte la branche à mes narines, ferme les yeux, hume de toute mes forces, expire, puis jette le tout dans la mer et vais me prendre en un jus d’ananas bien mérité.
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