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Photo du rédacteurJuan Echeverria

Il ne faut pas montrer ce que l'on écrit

Dernière mise à jour : 7 mai 2019



Parfois il ne faut pas montrer ce que l’on écrit. Il faut l’écrire uniquement pour soi. Parfois c’est juste une saignée. C’est juste un abcès que l’on vide de son immonde pus.




Oui, je suis emplis d’immondices, des trésors d’immondices. Ce que je tente de faire, c’est de les transformer en un fertile fumier. Mais le temps passe et j’ai parfois, souvent, l’impression que ça ne viendra jamais. Que tout n’est que fantasme, fantaisie, ma fantaisie. Et alors ? Et quand bien même ? Qui a le droit de me dire que je ne peux pas vivre de la sorte ?

Qui êtes-vous pour me dire comment je devrais me tenir ? Pour me dire d’arrêter de me balancer sur ma chaise au fond de la classe. Ce n’est d’ailleurs ni le fait d’en être tombé à plusieurs reprises, ni d’en avoir de la sorte cassé un certain nombre qui m’ont empêché de recommencer. Je n’arrêterai jamais, jamais, c’est entendu ? Jamais ! Personne ne m’empêchera de me balancer sur le fil de la vie.

J’ai bientôt trente-huit ans, pas de métier, pas de maison, pas de diplômes. Mais j’ai mon art, ma poésie, ma façon de capter le vie. Alors allez vous faire foutre, vous autres, qui vouliez votre Porsche avant d'avoir atteint les trente ans. Vous me dégoutez, vous êtes ridicules, vous êtes néfastes. Néfastes à mon art, néfastes à la vie.

Oui j’ai du venin. Du pus vert et malodorant. Oui je suis venu le cracher, presser le furoncle sur ma joue et vous éclabousser de la vermine qu’il renferme. Je viens dégueuler ma bile noire et acide, le liquide empoisonné qui tapisse mes entrailles.

Car je n’ai rien d’autre à proposer aujourd’hui. Juste l’amertume et l’odeur rance de ma sueur froide. La moiteur de mes mains, l’odeur nauséabonde de mes selles liquides et infectieuses.

Je suis comme la mangrove, j’ai poussé les pieds dans l’eau croupie, infestée de moustiques, chargée de maladies tropicales et de fantômes de pirates.

Je pourris les constructions en bois, l’humidité de mon habitat dérègle et abime les artéfacts électroniques, elle les détruit.

Je brise le crâne de ces canetons à grands coups de souche de bois, un par un je les éviscère puis les jette sur le mur de toutes mes forces. Ils vont s’y écraser et glissent lentement au bas en y laissant une trace rouge, parfois un reste d’organe y demeure collé.

Je crève le deuxième oeil du chien borgne. Je laisse le bébé hurler à la mort, affamé, pire, je lui souris. Je lui souris diaboliquement.

Je ne suis qu’ordure, me masturbe dans ma fange, éructe bruyamment, me nourris de la crasse noire que je trouve sous mes ongles de pieds.

Je brise tous les verres que je trouve dans la cuisine, les jette au sol puis marche dessus à m’en faire pisser le sang.

Je hurle, m’entendez-vous ? Je hurle ! Personne ne peut m’empêcher de hurler, personne ne peut m’empêcher de casser, de griffer, de détruire.

Un revers de main me suffit à balayer le château de cartes de la grand-mère et il ne m’en faut pas plus pour jeter à terre la relation amoureuse si laborieusement construite.

J’avance parmi le groupe d’enfants, saisis leur ballon et le crève avant de les menacer, sourire carnassier à la bouche, avec mon couteau.

Ah, je hurle, je hurle… puis me calme, regarde autour de moi et pleure. J’ai fait tout ça, j’ai cassé, j’ai détruit, j’ai violé, j’ai abimé, j’ai tué… mais le monde est toujours là, comme si de rien était. Mes actes seront bientôt effacés, oubliés, enterrés. J’ai fait tout cela pour rien, pire, j’ai fait tout cela pour me rendre encore plus triste, plus désespéré, pour que mon désespoir soit irréversible. Irréversible. Comme lorsque la parole méchante est dite, lorsque le mal est fait.

Ma tristesse est irréversible, mon enfance est irréversible, ma haine, ma colère, ma mort sont irréversibles.

Alors je continue à me balancer sur chaque chaise en me demandant à quoi ça sert tout ça: se lever, ouvrir un cahier, aller courir, préparer à manger, aimer, faire… mais je suis incapable de faire autrement.

Alors je me lève, sors prendre un café, j’ouvre un cahier et j’y détruis une portée de chiots. Parce qu’ici rien n’est irréversible. Parce qu’ici j’ai le droit. Parce qu’ici mon désespoir est fumier, arbre, fleur, fruit, graine puis racine. Mon désespoir est ruisseau, vert pâturage, soleil de quinze heures, sieste auguste, fermier à la peau tannée, enfant qui joue, enfant qui rit, enfant qui court, enfant qui vit.

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