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Photo du rédacteurJuan Echeverria

Loufiat

Oulan-Bator…pour la plus part d’entres vous ce mot n’a d’autre effet que de vaguement vous faire songer au dessin animé Albator, diffusé durant les années 1980. Peut-être penserez-vous « ah le batard », expression des cours de récré des années 90 s’il en est…d’autres, rares, sauront qu’Oulan-Bator se trouve être la capitale de la Mongolie. Mais personne n’a vraiment idée de ce qu’est Oulan-Bator.



En ce qui me concerne, cette ville est bien plus évocatrice. Devrais-je dire évocatriste ? Non, décidément ce jeu de mot est gratuit et peu à propos, gardons-le pour une autre fois.

J’ai connu Oulan-Bator, il y a bientôt quinze années de cela. Je l’ai connue en songe, je crois, je l’ai connu le temps d’une cuite…la plus longue cuite de ma vie.


Il faut donc que je re contextualise si je veux vous emmener avec moi dans cette épopée. A cette époque, fin des années 2000, je suis ce que l’on appelle un loufiat. Fort d’une expérience déjà moyenne dans le milieu de la brasserie parisienne, je n’ai aucun problème pour trouver du travail. Si tôt que j’en ai besoin, je me pointe dans une maison de placement ou je fais le tour d’un quartier avec une vingtaine de CV, je peux être sûr que je bosse le lendemain. Et c’est bien cela le souci, je suis tellement certain de retrouver facilement du travail que je me permet régulièrement de planter l’établissement dans lequel je bosse. Lorsque la soirée fût un peu trop arrosée ou même lorsque celle à venir me parait trop enjaillante pour la passer à servir des russes mal éduqués ou des provinciaux constipés du portefeuille. En effet, c’est un acte tellement régulier dans ce métier que la restauration en a créé une expression.

« Il est où Gérard ?

-Il a planté.

-Ah bon… » rien de surprenant. Gérard venait tous les jours bosser et puis un jour il a planté, n’est jamais venu chercher son solde de tout compte. On a croisé Gérard place du Trocadéro deux semaines plus tard, tiré à quatre épingles, il servait des mexicains.


Donc quand je n’arrive pas à sortir de mon lit, je plante, quand le patron me parle mal, je plante, quand j’ai le cafard…et ça c’est à peu près la moitié de l’année…ba je plante, ou alors j’y retourne, quand j’ai plus un sou.

Une fois, une de ces nombreuses maison de placement que je plante aussi régulièrement m’envoie dans une brasserie du 7eme… mais le 7eme moche. Si, si, ça existe, ya un 7eme dégueulasse, il est bien caché mais il existe. Je rentre dans l’infâme troquet, il est 17h, j’ai mes derniers 30euros qui me serviront de fond de caisse, mon portefeuille, mon limonadier…personne dans le rade. Au fond, un poivrot qui ressemble à n’importe quel poivrot de bistro assis sur un tabouret taille la bavette avec celui que je reconnait tout de suite comme le patron. Le genre de patron en chemise Armand Thierry, une merde rougeotte qui te regarde par dessus ses lunettes, le cou plein de plaques de psoriasis, sûr qu’il va crever avant la retraite.

« C’est vous l’extra ?

-C’est moi l’extra, oui, fils de pute, c’est mon nom…tu m’as pris pour Clint Eastwood ou quoi ? Tu vas me poser une bouteille de Bourbon sur le comptoir?

Le type me dit d’aller poser mes affaires au vestiaire, mais là, tout d’un coup, comme frappé par un éclair de lucidité, je me dis que je vais rester dans cette taule de l’enfer jusqu’au mois 1h00 du mat et que non, je veux pas, je n’en ai absolument pas envie. Alors je lui lance:

« Je me rends compte que j’ai oublié mon portefeuille dans la voiture, je reviens tout de suite… »


Il est bien entendu que je suis reparti comme je suis venu : en métro. Je me demande s’il m’attend toujours avec sa dégaine de Déchien. En tout cas les 30 balles m’ont suffit à aller me saouler dans la taverne de mon pote Ali, mais le lendemain j’ai vraiment du trouver un truc.

J’ai trouvé l’annonce, sur un site internet dédié à la restauration, d’une place au Cavalier Bleu, en face de Beaubourg. Là bas tu gagnes bien ta vie. Tu prends au moins 150 balles/soir et si t’es un minimum trilingue comme moi tu pars avec 80 de petit…honnête. Le problème c’est que j’ai déjà planté dans cette affaire, il y a deux ans. Mais vu le niveau parisien, il y a du y avoir au moins 200 serveurs qui sont passés par là entre temps, alors j’y vais au culot. Je rentre, je repère la patronne, une jeune moche que je vais pouvoir charmer. Son mari est un fils de pute et il a aussi une affaire de l’autre côté, en face de la fontaine Saint-Phalle. J’y ai bossé d’ailleurs, mais j’ai pas planté, je me suis fait tej. Parce qu’une fois où le boss m’a mal parlé je lui ai lancé un regard qui voulait dire : « encore une fois et jt’emplatre. » Il l’a senti, et le lâche a eu peur. Alors il s’est tiré et a dit à son directeur de ne pas me faire revenir le lendemain. Mais celle qui pèse vraiment c’est sa femme : 35 ans, cinq affaires dont ce cher Cavalier Bleu.

« Bonjour madame, j’ai vu votre annonce sur le site de l’hôtellerie, j’ai déjà fait des extras ici il y a deux ans et également au Paris Beaubourg chez votre mari…

-Votre tête me dit en effet quelque chose, vous êtes disponible quand ?

-Je suis en tenue, j’ai mes affaires dans mon sac à dos.

-Vous avez faim ?

-Je cracherais pas sur un steak.

-Commandez un plat en cuisine et ensuite en piste. Vous me donnerez votre numéro de sécu monsieur…?

-Juan !

-Juan, comme don Juan…

-Presque, sauf que je suis pas impuissant.

-Pardon ?

-Je vais manger et j’arrive !


C’est aussi simple que ça quand on connait les ficelles du métier, mais ensuite t’as intérêt à assurer, parce qu’un mauvais serveur on le repère en cinq minutes et on l’arrête tout de suite.


Sauf que moi je suis un putain de bon serveur. Jusqu’au jour ou je plante.

Comme cette fois sur les Champs. e ne me souviens pas comment j’ai réussi à avoir cette place au Deauville, mais je l’ai eu. Là bas c’est la foire. Vraiment, c’en est presque gênant. J’ai déjà réussi à vendre un supplément boule de glace à 10€ sur un moelleux au chocolat à 15 €.

Ce jour là je commence à 11h et je vais jusqu’à la fermeture…16 heures de taf presque non stop avec à la clé 250€ euros de salaire et si j’assure, autant en pourliches.

Mais je ne m’attendais pas à ça : On est en plein milieu du « jus » de 16h, le moment où tu termines la resto du midi et où les gens commencent déjà à s’asseoir pour prendre un verre. Il fait 32 degrés en ce début de Juillet, j’enchaine les pintes d’eau au bar pour me réhydrater après la race supérieure que je me suis mis la veille. J’ai la gueule de bois sympa, elle me fait tchatcher…mais j’espère en secret réussir à dégager 15 minutes pour aller ingurgiter une plâtrée de mauvaises pâtes.

Ce soir je bois. Oh oui je bois, ce soir je me venge, je me venge de la vie et de tous ceux qui ne m’ont pas regardé aujourd’hui. Les pires cuites sont celle qu’on prévoit. Et là je me dit que seules dix petites heures me séparent du week-end. Quand j’aurai un instant, ptet en allant pisser, j’enverrai quelques texto aguicheurs à Kamel et Roman, on va faire ça bien, on va se mettre mal !


Soudain, alors que je bouge une table, je sens un objet non identifié heurter mon pied droit. C’est mou et un peu lourd en même temps. L’analyse de mon orteil est formelle : c’est quelque chose d’intéressant. Alors ni une ni deux, je met un petit coup de pied dedans, dosé façon Zidane et j’envoie le truc glisser sous le pot des plantes. Là, il est en sécurité.

Je termine mes trucs à faire, je vais manger rapidos, compte mes tips, j’en suis déjà à 100 balles…mais le truc m’obsède. Je peux pas y aller, c’est trop tôt. Alors je reprends neuf longues heures de service à baragouiner en anglais et proposer de l’eau minérale pour gonfler mon chiffre.

Deux heures du matin, je termine de rentrer la terrasse, le directeur est déjà en train de compter la caisse, le nez enfariné et les yeux qui roulent…je me baisse furtivement, glisse ma main sous le yucca…bingo ! Il est toujours là. Un beau et gros larfeuille en cuir bien gonflé. Faites que ça soit à un saoudi mon Dieu faites que ce soit à un chinois !


400 euros aujourd’hui, je suis pas trop mal, mais j’aurais pu mieux faire…après tout j’ai offert 16 heures de ma vie et peut-être plus vu ce que j’ai pris physiquement. Tremblant d’excitation, j’ouvre le sachet de coke que m’a passé mon camarade. Je fais une ligne sur le sèche-mains en inox des toilettes du resto…et lorsque le glaire acide est bien descendu au fond de ma gorge, j’ouvre le trésor. Pas moins d’une quinzaine de billets de 200€, tout propres, même pas pliés, rangés et ordonnés me saluent comme si j’étais leur papa. J’arrive pas à y croire. Alors je me vide la fin du sachet dans le nez. Rien à foutre. J’ai récupéré plus de 3000 balles ! Le reste je veux pas le garder. Je veux rien savoir et je lâche le cadavre de portefeuille sur la route en abaissant la vitre tu taxi Mercedes qui m’emmène je sais même pas où. J’ai dit Châtelet je crois. Je vais faire quoi avec tout ce cash ?

A Oulan-Bator ils parlent pas bien anglais. Je comprends rien a cette ville. J’y suis depuis combien de temps ?

Je me rappelle qu’à Châtelet je suis entré dans la brasserie Au Pied de cochon, je me souviens que j’ai bu du Chablis, que j’ai pas terminé mon assiette. Je me souviens aussi vite fait du taxi qui m’a emmené chez moi prendre mon passeport, avec ce tunisien qui me parlait tout près du visage. Comment je l’ai rencontré lui ?

Et puis plus rien, si, des flashs…L’enfoiré ! Je devais aller en Tunisie avec lui, je lui ai payé son billet ! Et ensuite…ensuite…je me souviens plus…mais là quand je sors de cette chambre d’hôtel et que je demande à la réception où je suis, on me dit Oulan Bator. Je suis en Mongolie la putain de sa mère. Je suis rentré dans mon pays, le pays des mongoliens qui trouvent 3000€ et qui les claquent en 48 heures. C’est pas vrai, il me reste 1000 balles plus les 400 de mon service que j’avais mis ailleurs…qu’est-ce que je fout là ?

Et puis merde, je suis en week-end ou pas ? Et puis si je rentre pas pour la reprise de mon service, j’aurai pas de problème à trouver une autre poste. C’est l’été à Paris, ya du boulot partout.

Il est quelle heure madames ? 7H00 du matin ? Je veux pas savoir quel jour on est. Je remonte me coucher illico presto ! Comment on dit merci en Mongolien ?

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