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Photo du rédacteurJuan Echeverria

Ox et moi

Je pense que plus de la moitié de mes potes l’ont vraiment écouté, mais seuls quatre ou cinq d’entre nous avons une liaison intime avec lui. Pour moi, ce fut comme mon premier psy, mon grand frère, ou le chef du village qui me racontait des histoires sous le baobab.


Tu te demandes comment quelqu’un peut expliquer aussi facilement ce que tu ressens, comment on peut décrire ta mélancolie et son goût de métal dans la bouche de façon aussi exacte. Et puis les mots, l’humour, l’autodérision, les images…ça parlait de guerre de gangs et de suicide, d’amour et de sorcellerie, d’enfer et d’études ratées.

Quand j’entends Pucc' fiction pour la première fois, ça doit déjà faire deux ans que je brûle de la résine dans mes clopes et la reverb à la fin de l’instru me provoque un orgasme émotionnel. C’était sur la compile L432, une des meilleures que le rap français ait jamais engendré. Puis vient l’album et là, là, c’est comme s’assoir à bord d’une luge et dévaler les pistes graissées de mes propres artères direction le coeur. Je sais que ma vie ne sera plus jamais pareille, Opéra Puccino marqua mon entrée dans le monde des adultes et j’y emmenais ma solitude: « je suis ma propre poutre, jme soutiens seul, rien à foutre ». Qui d’autre comprendrait mieux qu’un adolescent perdu dans les rues de Paris avec une famille déviante à la maison et une famille recomposée qui l’attend au coin de la rue.

C’est d’ailleurs dans cette rue du onzième où j’ai trainé si longtemps que je l’ai vu en vrai pour la première fois. Je suis en bas de chez mon pote à l’attendre avec d’autres mecs qui sont pas vraiment mes potes dont un qui vient du dix-neuvième et soudain, en relevant la tête je vois une énorme main tendue par un géant qui me fixe. Je le reconnais tout de suite mais son regard semble me dire: « tu sais qui je suis, hein, fais pas le malin et tout ira bien ». Mais je l’ai vu d’autre fois.

Une fois en sortant de la Bellevilloise alors qu’il venait d’y faire un concert et que j’étais avec mon pote d’enfance défoncé au Havana club. Et puis une autre alors qu’il bouffait une sandwich sur les grands boulevards. Cette fois j’ ai traversé et je suis allé lui parler. Je fais jamais ça d’habitude, mais bon, t’es sensé faire quoi quand tu croises le mec qui a écrit ta douleur avec autant de justesse?

Onzième, dix-neuvième, c’est l’est parisien et nous autres traîne-savates on sait qui est qui et qui traine où, avec ou sans oignons, entre la place d’Aligre et la rue de la Roquette, le vingt moins un et le Val de Marne, les connexions sont étranges mais on les connaît. Pour moi, et c’est une joie et une frustration à la fois, un album d’Oxmo ne se partage pas, c’est compliqué de l’écouter à plusieurs. Comment veux-tu écouter Boule de neige autrement que les mains dans les poches et bonnet sur la tête. Je crois l’avoir même déjà zappé parce que c’était pas la saison.

Nan, un album d’Oxmo tu le commentes, t’en parle avec un fin connaisseur, mais tu l’écoutes tout seul, dans le bus, sur la ligne 5, ou à pied, entre Bréguet et Stalingrad quand la fin novembre te fait parvenir les premières morsures de l’hiver.

J’ai un pote qui est d’accord avec moi, ou plutôt je suis d’accord avec lui, l’Amour est mort est presque aussi bien qu’ Opéra Puccino, je crois même que mon pote préfère ce second opus…parce qu’il est différent, comme nous, parce que cet album est arrivé sur terre par erreur, peut-être comme nous, parce qu’il est si profond qu’il a filé des frissons à Brassens.

J’ai fait plus d’une demi-douzaine de concerts d’Oxmo en quinze ans et à chaque fois il refait les mêmes sons à la fin, et à chaque fois ça m’énerve, je lui ai dit: « mec, faut faire Boule de neige, faut faire Sortilège » mais au fond non, il a raison, c’est beau de voir tout Paris chanter « J’ai mal au mic en choeur » et puis les Petits d’ici je les vois depuis la terrasse de café où je suis posé rue de la fontaine au roi, je les vois quand je baroud les mains dans les poches, je les vois dans mon coeur, et je m’en souviens, parce que c’était nous les petits d’ici, et ce sera nous jusqu’à la fin. T’es pas content ? Fais gaffe parce qu’on va te sauter dessus à cinq, parce qu’on a pas de grands frères, parce qu’on a pas de maison, parce qu’on habite l’île aux enfants perdus.

Oxmo et moi

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