top of page
Rechercher
Photo du rédacteurJuan Echeverria

Passez la porte tambour

Dernière mise à jour : 7 mai 2019


Les saisons sont celles que l’on souhaite qu’elles soient, les gens sont ce que l’on souhaite qu’ils soient, le décor est celui que je décide de voir.


L’exercice d’écriture est un mystère : chaque fois que j’écris, que je déclare solennellement ma session d’écriture ouverte, je crée une brèche dans le temps. Je fends le rideau des siècles de mon sabre Hattori Hanzo, glisse mes mains dans la fente béante que je viens de créer, et l’écarte telle une fertile vulve pour que puisse s’écouler le magma de vie qui instantanément devient réel, existe. Tous ces moments existent, ce sont les moments les plus heureux de ma vie, cet endroit est un havre de paix, un éden. Mais pas l’Eden de la Bible. Dans mon Eden, les monstres ont le droit d’exister, les chimères ont leur place et il y a des coins sombres, tout n’est pas que lumière. Au moins, ce sont mes monstres et mes recoins. Ils me connaissent et, même si parfois ils n’arrivent pas à s’empêcher de tenter de me faire peur, ils ont renoncé à m’attaquer.

C’est aussi pourquoi le lieu où je décide d’écrire est important. J’ai besoin de calme mais pas du calme de chez moi. J’aime, entre autre, les hôtels. Et plus particulièrement les hôtels de luxe avec leurs hauts plafonds, leur excès de personnel, leurs sourires, leurs toilettes étincelantes. J’ai souvent fantasmé à l’idée de vivre un moment dans un grand hôtel, de ne pas en sortir... ou très peu. Et lorsque je m’absenterais, j’aurais toujours le sourire du groom à mon retour. Les employés connaîtraient tous mon nom mais je leur demanderais de m’appeler par mon prénom.

« Bonjour monsieur Juan, comment allez-vous aujourd’hui? J’en suis navré mais nous nettoyons en ce moment la piscine, elle ne sera accessible qu’à partir d’après-demain. En revanche le spa est toujours en activité. »

« Vous avez reçu une carte postale monsieur Juan, elle semble venir de loin, vous avez l’air d’avoir des amis partout sur le globe ! »

Dans cet hôtel, les saisons s’enchaîneraient sans que l’on ne s’en rende vraiment compte : l’on glisserait de l’automne à l’hiver, du printemps à l’été et seuls les éléments de décoration, les plats proposés dans les divers restaurants de l’établissement ainsi que l’accoutrement des clients permettraient de savoir à quelle époque de l’année nous nous trouverions. Parfois je descendrais prendre le petit déjeuner dans mon peignoir en satin, mais chaque soir je prendrais le temps de me préparer afin d’apparaître sur mon trente-et-un à l’heure du dîner.

« Cela fait bien longtemps que je ne suis pas sorti mon cher Jean-Louis, est-ce très différent dehors ? 

- Oh, je ne vous conseille pas de sortir monsieur Juan, vous êtes bien ici, parmi nous. Permettez-nous d’ailleurs de vous offrir cette belle corbeille de fruits pour vous remercier de votre fidélité. Tant d’années maintenant passées ensemble, regardez, c’est une goyave d’Equateur, nous savons que vous en raffolez ! »

Et dans cet hôtel je ne vieillirais jamais, je ne m’ennuierais jamais, j’effectuerais tous les jours le même programme sportif: pas trop intense mais suffisamment pour me faire un peu suer. Je mangerais le même poulet rôti chaque dimanche, assis au milieu de cette grande salle au carrelage damé et aux hauts rideaux de velours rouge…

N’importe quoi, c’est vraiment de la merde ton hôtel à la con ; c’est le contraire de la vie, c’est la tiédeur, c’est la stagnation, c’est Marseille sans le Mistral !

Sors enfoiré ! Sors vite ! Tu vas y rester !

Ouf ! Putain tu m’as fait peur, on est pas mieux ici à prendre des gouttes et du vent sur la gueule, à s’enrhumer et à se demander ce que veut dire cette invasion de cormorans sur ce putain de canal de l’Ourcq ? On est pas mieux à se faire bousculer dans le métro, à glisser sur une merde de chien, à se dire qu’on va se barrer ?

T’es con ou coin ? Il pue la mort ton hôtel, tu vois pas que c’est un putain de cliché et que les clients sont toujours les mêmes? Mais putain tu sais que t’as failli y passer avec tes putains de conneries d’hôtel, mec ?

Et voilà, je vous l’avais dit, encore une fois la magie opéra et de cette fente dans le temps naquit un hôtel, un canal, un cormoran et l’histoire d’un mec qui a peur de vivre. C’est marrant, non ? Moi ça me fascine d’écrire des trucs qui se mettent à exister au moment où je les pose sur le papier, des trucs qui ont en réalité toujours existé, mais qui attendaient juste que je les libère.

Comments


Commenting has been turned off.
bottom of page