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Photo du rédacteurJuan Echeverria

Une heure face à soi même

Dernière mise à jour : 1 mai 2019


Une heure, une heure face à moi même…

vous vous rendez compte de ce que c’est qu’une heure entière passée à s’écouter, se regarder, se sentir ? L’avez-vous déjà expérimenté ? Je suis en ce moment en train de vivre la 306 978ème heure de ma vie, et cette heure, je décide de la passer en ma propre compagnie.


Assis dans un café, mon album de jazz du moment fuyant de mon gros casque pour s’infiltrer langoureusement dans mes oreilles, je recherche la chaleur que peut me procurer le feu dégagé par les bûches de tristesse contenue dans mon coeur. Ou non, disons qu’elles se consument et que j’apprends à me tenir à la bonne distance pour ne pas me brûler. Ou non, disons que je brûle tout entier et que je me réchauffe de mon auto combustion. Trop longtemps trompé par la chaleur factice de l’eau de feu ou de la braise d’un joint. Adolescent, j’avais écrit un texte sur cette petite chaleur que je ressentais derrière la nuque peu de temps après avoir allumé mon premier joint de la journée. Le second verre d’alcool fort pouvait lui aussi parfois me procurer cette sensation de chaleur, cette envie de plisser les yeux tel un chat sous les caresses de son maître. Je pense que c’est quelque chose que j’ai toujours recherché : la chaleur du foyer.


C’est quelque chose qui me paraît être une vraie réussite : fonder un foyer chaleureux, calme, propre, doux, velouté… comme celui d’avant ma naissance. Car en sortant du ventre de ma mère j’eu froid, comme tout le monde, mais le soucis c’est que ça ne s’est pas arrangé par la suite : j’ai eu froid quand à l’âge de sept ans, la nuit déjà tombée et rentrant seul de l’école dans l’hiver parisien avec mon cartable trop lourd et mes cheveux d’indigène, je me fis agresser sexuellement par un loup qui faillit me violer et qui le fit d’ailleurs d’une certaine façon en proférant cette insulte lâchée pour détruire alors que je refusais de mettre son sexe fripé dans ma bouche : « vicieux ».


J’eu froid quand je demandais à mon père avachi sur le canapé du salon si je pouvais organiser une fête et qu’il me dit oui sans bien comprendre ou faire attention, et que je me mis à découper des dessins sur des feuilles de papier et à les scotcher dans le couloir de ce grand appartement témoin de ma tristesse et de ma solitude. Quand je composais les numéros de téléphone de mes deux ou trois seuls amis sans réussir à les joindre pour enfin me rendre compte que l’on n’organise pas de fête le samedi après-midi quand on a six ans. Quand on a six ans et qu’on est seul avec son père ivre mort dans l’immensité des cent-dix mètres carrés de son appartement mal éclairé, qu’on est samedi après-midi et bien on meurt monsieur, c’est la règle, on ne fait pas de fête monsieur, ah ça non ! On meurt !


Et puis je senti mon coeur se congeler lorsque, plus vieux, je sortais, roller quad aux pieds, rejoindre mes potes pour aller à Bastille puis au Trocadéro et que je n’y arrivais pas, que mon roller droit partait sur le côté et que je devais redoubler d’efforts pour suivre la meute, redoubler d’efforts et de pitreries, de jeux dangereux et mortels ; quand je saisissais la plaque affichant le numéro soixante-seize à l’arrière du bus et qu’elle me restait entre les mains en plein faubourg Saint Antoine, ou qu’ayant atteint une vitesse bien trop élevée en me tenant à ce dernier, je sentais mes pieds s’entrecroiser de plus en plus rapidement et voyais défiler le goudron sous les roulettes jusqu’à lâcher et aller me vautrer dans le caniveau parce qu’on était samedi après-midi, qu’il faisait trente degrés, que j’ allais allumer mon premier joint l’année suivante et que j’ avais trouvé ma bande, celle des orphelins de père.

J’en ai tellement des histoires polaires, tellement que je pourrais écrire un recueil.


Marcher dans la ville et voir les rectangles éclairés des fenêtres posées sur les tours comme autant de petites cheminées inaccessibles. Traverser la seine au petit matin et voir la ville s’éclairer à travers la vitre du métro, et avoir froid.

Mais quand j’écris j’ai chaud, quand je cours, quand je nage, quand je me prépare à manger dans mon studio propre, doux et bien éclairé j’ai chaud. Je ressens cette petite combustion recherchée depuis toujours… et je ressens ce qu’il y a derrière : un océan d’histoires polaires, un océan qui fut déchainé par les éléments mais à qui j’ai ordonné de se calmer.

Je lui ai dit : « rien ne sert de faire hurler tes vagues en les fracassant contre les rochers, je vais écouter toutes tes histoires dans le clapotis de l’eau sous la lumière de la pleine lune, nous avons tout notre temps, fais donc chanter le xylophone de la mer des souvenirs ».

Suis-je resté face à moi même durant cette 306 978ème heure de ma vie ?

Dans la récente nuit, sur le canal de l’ Ourcq à qui j’ai aussi raconté mes histoires et qui les reflète à sa manière dans les yeux des âmes perdues à la recherche du cailloux magique quand minuit est passé. Assis à mon pupitre improvisé, dans ce café blanc bien éclairé et protecteur, accompagné par la trompette de Christian Scott qui a du lire toutes mes histoires, ou bien les a-t-il écrites… oui, je l’ai vu avec son regard bienveillant, je l’ai senti poser sa main sur mon épaule : moi.

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